Regards croisés sur le dialogue social

Au cours de ces 14 dernières années, Jean-Yves Rafa et Alain Maspataud ont travaillé dans le même groupe international, le premier comme Directeur des Relations Sociales pour la France et l’Europe et le second comme Délégué syndical Central et Secrétaire de plusieurs instances représentatives du personnel. Aujourd’hui, ils nous livrent leur perception sur le rôle du dialogue social dans l’entreprise et sur les conditions de sa pérennité.

Rôle et fonctionnement des Instances Représentatives du Personnel (IRP)

J-Y R : Par application du Code du travail, de nombreuses IRP coexistent, chacune possédant son champ d’intervention, ses prérogatives et ses modalités de constitution et de fonctionnement. Il est donc important de bien les connaître pour en optimiser l’activité et éviter des discussions redondantes, voire de s’exposer à un risque d’entrave dans leur fonctionnement. Un dialogue social de qualité nécessite de travailler avec chacune des IRP en tenant compte de ses spécificités tout en veillant à préserver une cohérence d’ensemble des sujets abordés.

A.M. : Le législateur a effectivement prévu plusieurs instances. Ainsi le Comité d’Entreprise s’intéresse à la vie de l’entreprise et à tout ce qui concerne les organisations de travail. Les membres du CE interpellent l’employeur chaque mois sur ce type de thématiques et débattent de façon loyale avec le représentant légal de l’entreprise. Les Délégués du Personnel sont chargés, au cours de réunions mensuelles, de remonter les questions individuelles et collectives concernant les conditions de travail et les problèmes techniques. Ils doivent veiller également à la bonne application des accords de branche et d’entreprise. Les membres du CHSCT eux se réunissent une fois par trimestre et leurs compétences sont l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail au sens large. Comme on peut le voir, chaque instance a des prérogatives différentes et complémentaires.

Pour avoir une bonne vision de l’entreprise et pouvoir soit anticiper soit influer l’évolution des structures de l’entreprise, il est impératif que les instances se rencontrent et discutent entre elles. Le Délégué Syndical est le chef d’orchestre des instances et il doit veiller au bon fonctionnement et à la circulation des informations de façon à rendre les IRP plus efficaces dans leurs actions communes. Il doit être aussi le référent du droit du travail et des jurisprudences qui le complètent.

Evolutions d’organisation et restructurations

J-Y R : Il s’agit là de l’un des sujets qui sollicite le plus le dialogue social en raison des enjeux humains, organisationnels et des tensions inhérentes à la nature de ces projets. Il ne faut pas craindre alors de « parler vrai » et de solliciter les IRP qui sont en permanence en contact direct avec les collaborateurs de l’entreprise. Chacun dans son rôle, il est essentiel de rechercher ensemble les solutions, parfois de compromis, qui permettront un meilleur accompagnement dans la mise en œuvre du projet. C’est toujours un exercice délicat dans la mesure où l’entreprise a rarement la possibilité de surseoir, voire de renoncer à un projet de réorganisation. De leur côté, les collaborateurs ont besoin de se sentir soutenus et pris en considération.

A.M. : L’entreprise est un corps vivant et tout corps vivant doit s’adapter à son environnement social et économique. Certains évènements tels que des changements de structures sont positifs avec la création de nouveaux postes ou de nouvelles missions. D’autres le sont moins comme la suppression de postes entrainant le licenciement de collègues de travail. C’est une activité particulièrement prenant et chargé en émotion dans la mesure où les IRP connaissent tous les salariés.

La préparation, l’anticipation et le dialogue entre les instances sont primordiaux. Il faut également créer et entretenir un dialogue de qualité avec le Comité Exécutif de l’entreprise et les Ressources Humaines qui sont chargés de mettre en place ces nouvelles organisations. Il est important de s’entourer d’expert pour bien comprendre et analyser la situation et l’évolution à venir de l’entreprise pour être force de propositions. Cela, afin d’infléchir certaines positions de la direction. La négociation et l’art du compromis prennent alors toute leur place en évitant le côté émotionnel afin d’obtenir un meilleur accompagnement des collègues qui sont obligés de partir. Cela leurs permet de se repositionner dignement sur une autre opportunité interne ou externe à l’entreprise.

Négociations

J-Y R : Là encore, le dialogue social doit permettre de concilier des points de vue parfois très éloignés. C’est généralement le cas des Négociations Annuelles Obligatoires où les discussions peuvent rapidement devenir conflictuelles. Il faut donc tenter d’identifier et de satisfaire, même partiellement, les demandes exprimées ceci dans les limites, principalement budgétaires, que se fixe l’entreprise. D’expérience, même en cas d’échec d’une négociation, il faut éviter de dégrader le dialogue social car dans une entreprise les sujets de discussion ou de négociation avec les IRP sont fréquents et nombreux.

A.M. : Les négociations sont le lot permanent des IRP. A chaque fois, les points de vue entre les IRP et la direction sont différents, plus ou moins éloignés. A mon sens, ceux qui n’aiment pas la négociation ou qui ne connaissent pas les techniques de base de la négociation doivent passer la main et laisser la place à ceux qui en ont les compétences.
Il faut éviter les susceptibilités et ignorer les positions dogmatiques de certaines organisations syndicales qui alourdissent et ralentissent les débats. Il est souvent illusoire de vouloir tout arracher d’un seul coup notamment lors des négociations annuelles obligatoires, je croie beaucoup à la négociation pas à pas.

Un dialogue de qualité, l’utilisation de la rhétorique et surtout une très bonne connaissance de la marche de l’entreprise permettent de faire avancer les négociations. Ce qui prime avant tout, est l’intérêt général des salariés et la pérennité de l’entreprise.

Principes de qualité relationnelle au travail

J-Y R : Dans les mois qui suivirent leur prise de fonction, les jeunes DRH peuvent s’agacer de la suspicion fréquemment manifestée par certaines IRP. Cela d’autant plus que des représentants du personnel prêtent parfois à la Direction des intentions ou des projets sans réalité. Certaines paroles de tel ou tel responsable peuvent faire l’objet d’interprétation plus ou moins tendancieuse. Enfin, des tensions surviennent parfois et les IRP adoptent alors des attitudes conflictuelles, voire menaçantes. En fait, la difficulté est de distinguer le fond de la forme et, pris dans le feu des débats parfois houleux, de manquer des opportunités de mieux analyser la nature de ces émotions et de les prendre en considération avant d’aborder le cœur des débats. Enfin, il est essentiel de garder de la distanciation et ne pas s’assimiler aux mises en cause et contestations exprimées parfois durement.

A.M. : En France, il y a souvent un clivage entre l’encadrement de l’entreprise et les représentants du personnel. Il y a une suspicion de contestation permanente et une peur de perdre du pouvoir. Du côté des IRP, les décisions prises par l’encadrement sont souvent suspectées de vouloir confisquer les acquis sociaux et d’ajouter des charges de travail supplémentaires. La gestion purement financière des entreprises, notamment internationales, laisse très peu de place à la prise en compte de la dimension humaine.

L’incompréhension d’un projet peut susciter du côté des IRP des réactions de colère, de dégout, de menace et de son rejet. De son côté, l’encadrement peut être tenté de ne communiquer les informations dues aux instances qu’au compte goutes afin d’éviter leurs réactions épidermiques.

Ces positions de part et d’autre sont délétères au bon fonctionnement des instances et à la réussite des négociations. Il est donc primordial de construire très tôt une qualité de relation avec l’encadrement afin de faire grandir, dans le respect mutuel, la capacité de dialogue social. Echanger en amont et évoquer des possibilités d’évolution de structure permettrait d’aborder le changement dans un climat apaisé et serait plus productif à la fois pour l’entreprise et pour les salariés qui pourraient ainsi envisager l’avenir différemment.

Et maintenant ?

Forts de leurs expériences et leurs compétences dans la construction et le renforcement du dialogue social, Jean-Yves Rafa et Alain Maspataud ont décidé de compléter leur savoir-faire avec une formation certifiante à la médiation professionnelle et ont rejoint la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation. Ils proposent aujourd’hui aux entreprises et aux IRP de les aider à prévenir des situations potentielles de conflit, et si celui-ci est déjà existant, de les aider à le dénouer.

Jean-Yves Rafa                                                                        Alain Maspataud

                             06 08 97 51 03                                                                          06 75 09 08 60

                   jeanyvesrafa@gmail.com                                                alainmaspataud@gmail.com        

1 commentaire pour “Regards croisés sur le dialogue social”

  1. De toute évidence, la médiation professionnelle est un excellent terrain disciplinaire pour favoriser un dialogue encore plus constructif… Merci pour ce témoignage qui peut inspirer nombre d’acteurs de l’entreprise. Cependant, est-ce possible dans l’imagination de tous ?

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