Médiation professionnelle et dialogue social

Un nombre croissant d’entreprises s’intéresse de près à la médiation professionnelle. Sont-elles pour autant libérées des pesanteurs de conceptions managériales confites dans la contrainte ? Certainement pas. Rompre avec elles, qui plus est dans le monde industriel et commercial suppose un tournant stratégique qui ne s’opérera certainement pas dans la légèreté. Pourtant, il devient de plus en plus sensible que la qualité relationnelle est un outil opérationnel, notamment pour les partenaires sociaux. Un outil d’autant plus pertinent, qu’il se trouve toujours mis en œuvre dans le respect des prérogatives des partenaires eux-mêmes, qu’il s’agisse des directions d’entreprise, des travailleurs salariés et de leurs organisations ou des pouvoirs publics. Si les entreprises, publiques ou privées, découvrent la médiation professionnelle, c’est encore trop souvent à l’occasion de situations d’urgence menaçant de devenir insoutenables. Un tel accompagnement, encore loin des transformations stratégiques évoquées ci-dessus, couvre pourtant plusieurs champs dans lesquels apparaissent régulièrement des difficultés plaçant les partenaires sociaux et l’entreprise en situation de conflit, voire en danger.

  1. Rapports entre représentants des directions et des syndicats

Le plus évident de ces champs est l’ensemble des relations qui régissent les rapports entre représentants des directions et représentants des salariés. Les occasions sont très nombreuses de face-à-face directs :

  • négociations collectives qui rythment l’année sur les thèmes les plus divers,
  • réunions mensuelles des délégués du personnel, ces derniers disposant par ailleurs de la prérogative de saisir instantanément une direction sur un panel très large de réclamations,
  • réunions mensuelles du comité d’entreprise auxquelles peuvent, dans certaines circonstances, s’ajouter des réunions exceptionnelles,
  • mais aussi, rencontres préalables entre le président et le secrétaire du CE pour préparer l’ordre du jour des sessions de l’instance,
  • réunions trimestrielles du CHSCT, cette instance disposant de pouvoirs réels sur la vie de l’entreprise, comme le droit de retrait ou la possibilité d’imposer une expertise contre l’avis de la direction…

Autant d’occasions pour que se développent de manière permanente et multiforme des tensions entre les partenaires, susceptibles de dévoyer le dialogue et même d’occasionner des souffrances intolérables et d’ailleurs proscrites dans le cadre du travail. Dans le pire des cas, on ne compte pas le nombre de salariés des ressources humaines ou de représentants des salariés arrêtés pour des troubles de santé directement liés à leurs missions. Le tout, bien entendu, au détriment de l’efficacité du dialogue social et de l’ambition des accords susceptibles d’en sortir.

Avant que de parvenir à de telles extrémités, une rationalisation des relations sous la conduite de la médiation professionnelle s’avère parfaitement adaptée pour rétablir ou maintenir la sérénité et la maîtrise nécessaires aux débats.

  1. Rapports internes à chacun des partenaires

Dans un tout autre ordre d’idées, le conflit apparaît également de manière fréquente à l’intérieur même des équipes, qu’elles soient de direction ou syndicales. Cette dimension est moins visible de l’extérieur, chacun s’efforçant de la confiner en interne, mais elle n’en conduit pas moins à des abandons, à des démissions, à des mises à l’écart… Et, au final à des pertes de compétence pour les directions comme pour les syndicats, c’est-à-dire pour l’entreprise tout entière, qui s’avèrent d’un coût d’autant plus inutile et disproportionné qu’un accompagnement en qualité relationnelle et, si nécessaire, en médiation permet de surmonter le problème sans difficulté.

  1. Rapports entre représentants des salariés

Un cas particulier doit également être évoqué, découlant de l’extrême morcellement du paysage syndical dans notre pays : celui des relations entre organisations syndicales distinctes. A tous les niveaux d’activité énumérés ci-dessus, les divergences entre cultures syndicales peuvent prendre un tour suffisamment radicalisé pour pénaliser la vie même non seulement du collectif des partenaires sociaux, mais aussi de l’entreprise dans son ensemble. L’expérience des médiateurs professionnels en entreprise montre que leur intervention aux côtés de partenaires censés représenter les mêmes intérêts, mais s’opposant sur les mille aspects de la mise en œuvre de leurs projets, permet à chacun, sur les bases de la qualité de la relation, de prendre la distance nécessaire.

  1. Rapports entre salariés dans la mise en œuvre des accords

Cette dimension de la vie à l’entreprise dans le cadre du dialogue social est gravement sous-évaluée. Le dialogue social se propose de favoriser une évolution de la vie à l’entreprise aussi concertée, aussi prise en compte que possible de manière collective, afin de s’assurer une bonne mise en œuvre des accords qui en découleront. Pourtant, pour aussi vaste et représentatif qu’il soit, le collectif des partenaires sociaux ne rassemble jamais qu’une infime partie de l’effectif. Lorsque ce collectif arrête par accord des modalités de transformation de l’organisation, il ne peut oublier que les décisions qu’il prend ont pour vocation de s’appliquer, dans le cas le plus général, à l’ensemble du personnel. C’est à cette étape qu’apparaissent les troubles les plus massifs et les plus aigus, dans la mesure où toute disposition est susceptible de concerner personnellement chaque salarié, parfois jusque dans sa vie quotidienne, parfois même dans sa vie hors de l’entreprise. Horaires, définition des postes de travail, évolution des salaires, mobilité et conditions de déplacement, réorganisation des services, changement de locaux ou de matériel, arrivée de nouveaux marchés ou perte de marchés traditionnels, évolution des effectifs (à la hausse comme à la baisse), introduction technologies nouvelles, adaptation des plans de formation, promotions… Dans le cadre d’une négociation comme dans celui d’une information consultation d’une instance, les délégués et les représentants de la direction ont en charge d’étudier et d’évaluer ces transformations. Qui plus est, tous sont tant bien que mal formés à l’analyse et au dialogue.

En revanche, il en va tout autrement des salariés qui vont devoir mettre ce changement en application et cette phase provoque des pertes de repère, des frustrations, des incompréhensions qui peuvent s’avérer particulièrement problématiques. Ainsi, envisager d’emblée que le dialogue social soit doté d’un dispositif permanent d’accompagnement des salariés dans les changements de l’entreprise est la méthode la plus efficace pour éviter des dysfonctionnements dont l’histoire a montré à quel point ils pouvaient être catastrophiques.

En conclusion

La médiation professionnelle se positionne sur des fondamentaux renouvelés du dialogue social et, plus généralement, de la vie à l’entreprise. Ces nouveaux fondamentaux sont au nombre de trois :

  • Gouvernance et management,
  • Implication dans le projet,
  • Qualité relationnelle.

Dans ce cadre, elle est à même de contribuer à un développement ambitieux du dialogue social, aux côtés des différents intervenants institutionnels de l’entreprise et sans empiéter sur leurs missions propres. Des moyens nombreux existent pour cela. Il a été question de médiation pour aider à la résolution des conflits interpersonnels et de qualité relationnelle pour outiller les personnes « qui font l’entreprise » et leur permettre de détecter les sources de dégradation de la qualité de leurs relations professionnelles. Ces différentes interventions peuvent prendre des formes diverses, telles que l’accompagnement collectif des équipes, l’accompagnement individuel à la prise de poste, à la prise de décision, dans le changement ou en qualité relationnelle. La médiation professionnelle offre aussi des sessions de sensibilisation ou de formation, des managers comme des délégués, à la qualité relationnelle dans le cadre du dialogue entre partenaires sociaux. Enfin, des dispositifs plus pointus et adaptés à l’entreprise au plus près de ses besoins sont également à disposition sur demande[9]. Cette dimension d’intervention dans l’urgence ou en anticipation de la dégradation de la qualité des relations ne doit toutefois pas occulter la nécessité de considérer l’organisation sous l’angle d’un nouveau modèle privilégiant la libre décision.

En tout état de cause, il convient de se rappeler que la médiation est un droit pour tous, notamment directions comme syndicats. Chacun des partenaires a d’ailleurs intérêt à avoir à faire à des interlocuteurs experts, capables d’appréhender les enjeux dans leur globalité, au service de la qualité du dialogue social et, au final, de l’entreprise.

Ressources

[1] http://www.journal-officiel.gouv.fr/publications/bocc/pdf/2013/0035/boc_20130035_0000_0013.pdf

[2] http://data.over-blog-kiwi.com/0/26/56/60/20140907/ob_df9339_accord-national-du-6-novembre-1998-sur.pdf

[3] http://accords.medef.com/documents/accord_552.pdf

[4] http://ec.europa.eu/social/main.jsp?catId=329&langId=fr

[5] http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_INSTRUMENT_ID:312232

[6] http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:12100:0::NO:12100:P12100_INSTRUMENT_ID:312333

[7] En fait, « émotionnel » n’est pas le terme approprié. Si ce mot ne sonnait pas de manière un peu surannée, il conviendrait plutôt de dire « passionnel », au sens que Descartes donnait à ce terme : René Descartes, Les Passions de l’âme, Henry Le Gras, Paris, 1649. C’est-à-dire : l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse comme « passions » « simples » et « primitives ».

[8] Pour une illustration particulièrement édifiante de cette thèse dans un passé récent, on se reportera, par exemple, à l’ouvrage de Yannick Le Quentrec et Stéphanie Benson, Un JOB pour la vie, Editions Syllepse, décembre 2015. Voir aussi l’article de Yannick Le Quentrec, Quoi de neuf dans les luttes ouvrières ? Le cas de JOB, usine papetière toulousaine, Revue multidisciplinaire sur l’Emploi, le Syndicalisme et le Travail (REMEST), 2007, volume 3, numéro 1.

[9] Pour tout contact avec un médiateur professionnel ou pour toute demande d’information : Allomediateur, l’annuaire de la médiation professionnelle (http://www.allomediateur.com/) ou par téléphone au 05 57 88 27 79.